La vie est belle et c'est tant pis

( Laissez tomber Icare ... ) ou
Quelques notes terre à terre sur le travail d'Anne-Marie Lorin

Voici le monde (elle peint, elle dit), petits bouts de papiers, collages, mots du quotidien,
traces bavardes d'oiseaux sur le sol, la zone de bleu, la zone d'ocre. voici le mot avec
comme un roulement de rire au fond de la voix

voici le monde, elle peint, papier kraft, papier d'emballage, banalités, sa majesté la poule
à l'oeil d'aigle. le jaune, les couleurs, les taches sur la toile ou le papier comme du rire
qu'on y aurait semé

voici le monde, ma vieille terre cousue, toute collée aux feuillets recueillis dans de très
vieux livres, une vache qui passe, la saveur de I'ocre, l'ordre (imprécis) des couleurs, les
petits coups de crayon sur le papier, comme ces hésitations de la voix

voici la terre, chargée d'eaux troubles, troublées, troublantes, (elle charrie aussi des
souvenirs de tickets de métro sur des toiles), des nouvelles fraîches tombent de la radio. le fond sonore du monde, le dessin, le trait, et elle le dit, avec cette hésitation du pinceau,
cette suspension de la plume. cette incertitude au bord des lèvres

voici la terre, dans ses boues viennent se prendre des duvets de nids, des bribes de
journaux, ce qui nous dit que le temps passe, l'image d'un taureau, il est là, et encore un
taureau. l'ordre énigmatique des couleurs, les petits coups de plume (comme on le dit
d'un bec)

voici la terre des griffes tendres, des ailes fragiles, la terre de l'avancée aveugle du
lombric, celle des lambeaux de toile d'araignées, le mythe, les couleurs d'enluminure
dans des livres d'heures, les pointillés sur la toile, comme autant de petits coups de
bec (comme s'ils en riaient)

voici ma terre, taureau têtu, mugissante, aux cornes de lune, tournoyant du bleu à l'ocre
au milieu de bouts de journaux, des phrases entendues, ma terre taureau de toile et de
papier.

Raphaël Monticelli